Report sur les pratiques Européenne d'éducation interculturelle
Mirca Ognisanti, Massimo Bortolini
1 La diversité comme... 2 Enseignement 2.1 L’école comme lieu d’exclusion 2.2 Quelle opportunité? 2.3 Une diversité ethnocentrée 2.4 Quelques constats 2.5 Conclusion 3 Formation 3.1 Réponse à un problème 3.2 Conclusion Bibliographie
1 La diversité comme... Les Québécois disent qu’il y a trois manières d’aborder la diversité dans la société ou à l’école: la première veut que la “diversité” soit considérée “comme un handicap”, la seconde que la “diversité” soit considérée “comme une situation temporaire” à faire disparaître, la troisième que la “diversité” soit considérée “comme une opportunité”. Le texte qui suit tente de montrer comment est considérée la diversité dans l’enseignement et dans la formation de professionnels du champ social.
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2 Enseignement En matière d’éducation interculturelle telle qu’elle “existe” dans les Etats membres de l’Union européenne, les données sont rares, surtout ailleurs que dans les états d’immigration organisée ancienne. Suivra un aperçu des tendances, convergentes et/ou divergentes, que l’on retrouve dans différents pays pour lesquels nous avons obtenu des informations pertinentes: la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, le Luxembourg, l’Allemagne, la Tchéquie et la Suède. Ces pays couvrent des contextes très différents: pays de migrations anciennes, pays anciennement d’émigration devenus pays d’immigration, anciens empires coloniaux, pays avec des politiques dites multiculturalistes et d’autres avec des politiques dites assimilationnistes, pays où la question des minorités est importante, pays du nord, du centre et pays du sud de l’Europe. Nous serons donc très modestes dans ce texte, et nous tenterons de donner ce qui nous a semblé – au-delà des différences de centres de décision – être les tendances et choix philosophiques principaux en matière d’enseignement interculturel. Y-a-t-il des constantes dans les thématiques envisagées? Y-a-t-il des différences dans les manières de les aborder? Quels sont les publics visés? Quels sont les principaux objectifs poursuivis?
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2.1 L’école comme lieu d’exclusion Il faut constater qu’aucun “modèle” n’est représentatif de ce qui se fait en la matière aujourd’hui en Europe. Entre le système français ultra-centralisé et le système britannique, en partie national mais avec une large autonomie laissée aux écoles, la marge est grande. Comment dès lors rendre compte de cette diversité, sinon en s’attachant aux mots, aux concepts utilisés pour parler des “enfants d’immigrés à l’école”? Comment aussi rendre compte de ce qui se passe dans les pays “entrants” de l’Union (dix en peu de temps) où la question des minorités (nomades, de langues ou issues des états précédemment dominants) est centrale? Reste que l’école est le premier lieu d’exclusion de ces enfants: non-inscription, relégation, échecs et retards plus importants, stigmatisation, par exemple, sont fréquemment avancées par les personnes interrogées et cela depuis longtemps. Rien ne semble vraiment avoir changé. Ainsi, l’enquête que l’OCDE a rendu publique en mai 2006 indique que «de nombreux pays développés ne parviennent pas à aider les enfants issus de l’immigration à s’intégrer dans la société par l’instruction», et de citer pêle-mêle (et cela malgré la motivation dont ces enfants font preuve): les différences entre les systèmes scolaires; les désavantages de départ; les établissements moins performants qu’ils fréquentent; les conditions de vie en classe moins avantageuses; la langue et l’origine géographique comme sources de retard. Les questions que ces différents constats, anciens ou récents, soulèvent sont trop peu prises en compte dans les politiques éducatives et de promotion de la diversité, si ce n’est peut-être en Grande-Bretagne où il existe une pédagogie anti-oppressive, une promotion de l’antiracisme et de la citoyenneté démocratique dans l’éducation. Elles déterminent cependant fortement la manière dont les jeunes (et les autres) se sentent perçus, considérés par la société/l’école où on leur demande de s’intégrer. Ces questions donc trouvent quelques propositions de réponses réparties en interventions directes et en interventions indirectes. Les premières relèvent essentiellement du champ législatif, les secondes portent davantage sur ce qui peut modifier – en profondeur ou non – l’école dans sa structure et dans son fonctionnement. Ceci concerne la formation, les interventions dans l’école, qu’elles soient destinées aux enseignants, aux élèves ou aux familles. Il semble bien que, hormis les cas de la Belgique et du Grand-Duché (mais de manière limitée) du Luxembourg, aucun Etat n’a (encore) inscrit la diversité ou l’interculturalité dans la formation de base des enseignants. Liberté est laissée à ceux qui le souhaitent de choisir des cours optionnels ou de s’adresser à des organismes spécialisés. Là où nous en sommes, se pose en l’occurrence la question, qui sera sans doute récurrente, de savoir s’il est pertinent d’imposer un tel contenu en formation initiale. Ou, en d’autres termes, s’il est préférable de favoriser la formation continue, ou encore d’allier celle-ci à la formation initiale?
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2.2 Quelle opportunité? Si l’on reprend les trois distinctions faites par les Québécois – handicap, état temporaire ou opportunité – il paraît évident que les deux premières perceptions sont celles qui sont les plus présentes dans les actions concrètes, et que le concept d’opportunité ne dépasse guère le niveau du discours politique soulignant la richesse d’une société multiculturelle. La manière dont les écoles et les politiques éducatives abordent l’enseignement interculturel est d’abord lié à la présence de jeunes issus de l’immigration. Les discours peuvent être généraux et aborder la diversité et son importance, il reste que c’est cette présence qui fonde la réflexion sur l’interculturel en éducation. Lorsque l’on regarde la manière dont la recherche s’est intéressée à cette présence, il semble que les recherches portant sur des variables psychosociales développent un point de vue généraliste, par exemple sur les rapports école/familles ou intégration/exclusion sociales; alors que les questions sur le système scolaire portent aujourd’hui surtout sur l’hétérogénéité des publics, qu’il soit question des différences sociales et culturelles ou de la cohabitation d’élèves de différents niveaux. Ce que les diverses études mettent en évidence concernant les enfants issus de l’immigration touche 1) les positionnements, les discriminations et les performances scolaires; 2) les compétences linguistiques et langagières; 3) les variables individuelles et familiales: les stratégies identitaires, le bilinguisme et le rôle de la langue maternelle, la sociolinguistique liée à l’illettrisme; 4) les variables relatives au positionnement institutionnel: hétérogénéité vs homogénéité, l’ethnicisation des représentations, les représentations réciproques.
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2.3 Une diversité ethnocentrée Comme réponses à ces constats, ce qui va être mené va concerner l’alphabétisation, l’accueil des nouveaux arrivants, l’intégration, la prévention des violences, l’hétérogénéité des publics scolaires; et va se traduire dans des actions telles que la création des zones d’action prioritaire, des projets pilote d’enseignement interculturel, des partenariats autour de la langue et de la culture d’origine (ELCO), des classes passerelles, les discriminations positives, la médiation scolaire, l’accrochage scolaire, la formation des enseignants, la déconcentration, etc. Les analyses et les projets portés par l’école ou acceptées par celle-ci vont donc souvent dans le sens d’une diminution de l’échec scolaire, de la violence, de la discrimination ou alors d’une politique de “citoyennisation”, de conformation à l’idéal politique de la société d’accueil. Les différences se marquent dès lors surtout dans la définition que l’on donne de la citoyenneté: laïque et républicaine en France, antiraciste et multiculturelle en Grande-Bretagne. Ce qui ressort finalement des différents cas, qui est de l’ordre de l’évidence qu’on ne questionne plus, c’est que la société d’accueil et l’école demeurent au centre de la promotion de la diversité ou de l’interculturalité. Nous voulons dire par là qu’il ne s’agit pas de changer fondamentalement l’une ou l’autre, mais bien de prévoir dans les structures de l’une et de l’autre ce qui va permettre – de manière contraignante ou non – d’intégrer la “différence”. Outre quelques discours volontaristes ou moralisants, les projets demeurent, nous semble-t-il, dans une logique de “faire disparaître la différence”, que celle-ci soit considérée comme un handicap ou comme un état temporaire. Comment dès lors concevoir l’opportunité si l’on souhaite pallier ou supprimer quelque chose? Si l’on considère que l’action interculturelle est une opportunité de changer les manières de voir les relations humaines, que reste-t-il ici dans cette dimension d’opportunité? C’est que celle-ci est une opportunité… En effet, même si cela relève majoritairement de l’idéal utopique, tous les pays mettent en avant l’importance de la diversité et de la diversité comme opportunité pour l’avenir.
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2.4 Quelques constats S’il fallait résumer les constats – convergents ou divergents – qui apparaissent à la lecture des différents documents auxquels nous avons eu accès, des expériences menées ou accompagnées au fil de années et des différents entretiens que nous avons menés dans le cadre de ce projet, on pourrait dire que: La diversité, l’hétérogénéité, la différence sont présentes et actées par tous ceux qui promeuvent des actions interculturelles. Cette reconnaissance ne veut cependant pas dire que les discriminations sont absentes, ni que l’on s’en préoccupe ou que l’on envisage de les traiter au niveau de l’école lorsqu’elles concernent le fonctionnement “normal ou normé” de la société. On continue en outre à se penser dans un cadre local (par exemple les discriminations légales qui résultent de l’impossibilité d’accéder à certains emplois pour des non-nationaux ou non-européens). L’augmentation et l’intensification des flux migratoires sont actées et présentes, sinon dans les contenus de cours, dans les thèmes abordés ou au moins dans le contexte général mondial étudié: la mondialisation ou la globalisation sont des termes qui se sont imposés. Reste que l’on ne se pose pas réellement la question de l’impact de la globalisation sur l’organisation de l’école. Les discriminations sont reconnues et actées, mais elles ne semblent pas toucher la réalité de l’école. Ainsi, dans une enquête menée en Belgique francophone auprès des étudiants en dernière année de formation d’enseignants, à la question de savoir si les enfants d’ascendance immigrée étaient victimes de discrimination en matière d’évaluation, d’orientation et de sanction, seuls 15% des personnes interrogées répondaient oui. Concernant les publics visés, même si la thématique de la diversité doit en principe aborder plusieurs dimensions (origine ethno-socio-culturelle, sexe, handicap, orientation sexuelle, âge, etc.), les contenus semblent toucher essentiellement les étrangers et ou immigrés, avec une distinction qui apparaît dans les pays d’anciennes immigrations entre “nouveaux migrants” ou “primo-arrivants” et “immigrés”. Dans de nombreuses expériences de formation en Belgique, par exemple, les enseignants regrettent de manière générique que l’on n’aborde pas tous les publics (pourquoi toujours parler des immigrés? pourquoi toujours parler des Marocains?), mais dans le même temps, leurs demandes et besoins exprimés dans des cas concrets concernent presque exclusivement les jeunes d’ascendance immigrée, en particulier les Maghrébins et les musulmans. On pourrait dire, en quelque sorte, que l’immigration met en relief des différences de traitement qui lui préexistent et qui touchent d’autres minorités. S’y superposent une dimension nationale et une dimension culturelle: la diversité demeure vécue comme quelque chose d’extérieur à la société “normale”. L’apprentissage de la langue est central dans le processus de réussite scolaire et d’intégration. Il faut apprendre la langue du pays d’accueil pour réussir, pour s’intégrer à l’école et dans la société. Si cette dimension est présente partout, il est cependant utile de souligner des différences d’approche: par exemple au Luxembourg, les instituteurs/trices maternels ont l’obligation d’apprendre la langue portugaise et ont la langue italienne en option (Portugais et Italiens représentent les deux plus importants groupes d’immigration au Luxembourg); en Suède, l’éducation bilingue est promue (même si ce choix se heurte à des difficultés d’organisation) et il est possible d’apprendre la langue dite d’origine comme première langue; un enseignement bi-culturel au niveau primaire est développé par les Flamands à Bruxelles, qui va dans le même sens. Ailleurs, seuls les cours de Langues et Culture d’Origine (LCO) sont proposés en option dans certaines écoles. Le rôle joué par les associations est important. Cette participation importante de l’associatif dans le scolaire est positive. Il nous semble cependant que, connaissant les difficultés de l’école à s’ouvrir vers l’extérieur, ce fait témoigne peut-être aussi d’une externalisation de la problématique: ce sont des spécialistes, ou supposés tels, qui sont chargés d’intervenir. Cela renvoie à la distinction entre savoirs et compétences. Entrer dans une démarche interculturelle ou d’ouverture à la diversité est une question de savoirs mais surtout une question de compétences à développer. Faire intervenir de manière ponctuelle des associations sur des problématiques pointues revient bien souvent à privilégier les savoirs, et nous bouclons là la boucle de l’évidence scolaire. Sur ces questions de la diversité et de la différence, l’école se place bien souvent sur le seul plan de la communication: ce qui ne pourra être assimilé/intégré devra être traité par la communication. Ceci indique une autre constante dans les expériences rencontrées, à savoir que rares sont les occasions où la nature des relations entre les personnes qui interviennent sont sujet d’analyse ou d’observation. C’est comme si entre enseignants, la dimension (inter)culturelle était totalement absente, comme s’il n’y avait aucune différence. L’occasion de se poser les questions qui touchent à la différence – phénomène universel – ne se posent qu’à l’occasion de la rencontre avec l’autre étranger ou différent, en l’occurrence l’enfant issu de l’immigration.
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2.5 Conclusion La prise en compte de la dimension interculturelle ou d’ouverture à la diversité semble de plus en plus présente dans l’Union européenne, en tous cas dans les sept pays pour lesquels nous disposions d’informations utiles. On peut le souligner et s’en réjouir. Il demeure, nous semble-t-il, que l’histoire de ces pays, la manière dont ils conçoivent l’intégration, la manière dont ils se pensent ou non comme pays d’immigration, comme société multiculturelle, la manière dont ils pensent la présence des minorités nationales détermine largement la manière dont ces états décident et organisent la prise en compte des conséquences de l’immigration sur et à l’école. Il nous semble que si des actions interculturelles sont à privilégier, il est essentiel d’y inclure une dimension politique sur l’avenir multiculturel des états européens et de l’Europe comme terre d’immigration et non pas uniquement comme une manière de supprimer la différence. Cela requiert, outre l’inclusion de cette dimension dans les cours, un message clair et sans ambiguïté des gouvernements nationaux et des responsables européens de l’éducation.
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3 Formation La formation à l’interculturalité – hors champ de l’enseignement – recouvre un nombre important de domaines, mais on peut dire, sans trop se tromper, que le dénominateur commun en est la “communication interculturelle”. Ces formations abordent, généralement, d’autres thématiques: flux migratoires, discriminations, identité et culture, etc., et ne se limite, formellement, pas à l’unique aspect de la communication. Toutefois, la finalité et les objectifs de ce type de formation est l’amélioration des rapports entre les individus et les groupes d’individus, grâce à une meilleure communication, basée sur une meilleure connaissance du contexte, des populations en présence, des normes et des codes. Dans un répertoire Les formations interculturelles: qui fait quoi? , qui reprenait les formations existant en communauté française de Belgique, on pouvait lire que «les formations répertoriés sous ce thème (la communication) sont axée sur les techniques et problématiques de la communication envisagée plutôt dans ses mécanismes psychologiques, sociaux et culturels. A ce titre, la majorité des formations présentées sont axées sur les dimensions interculturelles de la communication(…)» Ceci renvoie à une autre distinction. Tania Ogay indique qu’il existe une différence entre l’aire anglo-saxonne et l’aire francophone lorsque l’on parle de communication interculturelle. Chez les anglo-saxons, l’accent serait avant tout mis sur l’“interaction interindividuelle”, alors que chez les francophones, l’accent serait mis sur l’“intégration de l’individu à un ensemble culturel nouveau”. De plus, les premiers s’intéresseraient surtout à la communication, les seconds davantage à la psychologie et aux contacts des cultures. Cette distinction a, bien entendu, des origines historiques. Les travaux autour de la communication et de la communication interculturelle en particulier renvoient à des besoins différents, que nous ne développerons pas ici, mais qui repose d’un côté sur un objectif de meilleure efficacité dans l’interaction interindividuelle interculturelle et de l’autre, l’intégration des migrants, avec un objectif d’une stratégie d’intervention psycho-sociale pour atteindre une société interculturelle. Nous ne nous pencherons que sur l’aire francophone, en tâchant de dégager quelques constantes dans les formations que nous avons pris connaissance ou analysées. Les formations “à l’interculturalité”; en tenant compte de ce qu’il est dit auparavant; concernent les secteurs de l’enseignement, du management et du marketing, de l’action sociale, de l’alphabétisation, de l’éducation à la citoyenneté, du droit et de la justice, de la médiation, de l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, de la santé, des services publics en charge de l’accueil et du contact quotidien avec la population étrangère ou issus de l’immigration. Les formations observées ont quatre points communs: une logique de changement: la formation vise à induire des changements chez les personnes ou dans les systèmes; le formé et la formation sont au centre: que le programme est négocié avec le demandeur et adapté à sa demande et ses besoins; une articulation théories et pratiques: les savoirs transmis n’ont d’utilité que s’ils sont utilisés ou qu’ils donnent sens à une réalité vécue; rationalisation et professionnalisation: capacité du formateur à objectiver ses intentions, ses moyens, le contexte et les résultats escomptés.
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3.1 Réponse à un problème Diversité comme handicap? Diversité comme situation temporaire? Diversité comme ressource? Si les formations présentent un panel de méthodes, elles sont avant tout là pour répondre à des problèmes. La sollicitation pour une formation résulte, quasi-exclusivement, du problème auquel trouver une solution, de la situation à débloquer, d’un conflit à résoudre. Elle ne se fait pas spécialement dans un souci d’ouverture désintéressé à l’autre. Elles sont sollicitées par des professionnels, individuellement (rarement) ou par des structures les employant (souvent), de manière volontaire (assez rarement) ou imposée (assez souvent). La demande de formation est souvent effectuée suite à un problème que rencontre une institution ou un groupe de professionnels. Une situation insatisfaisante ou problématique entraîne une demande de type «Il y a des bandes de jeunes qui …, aidez-nous à comprendre ce qu’ils veulent », ou «nous aimerions que cela cesse», ou «comment faire…», l’objectif étant de mettre fin à cette situation. Dans la méthodologie, les finalités et les objectifs des organismes proposant des formations, la réflexivité, la décentration, la prise de conscience des implicites culturels, etc. sont centraux. Aucun ne semble prêt à y déroger. Pourtant, concrètement, la réponse à la demande de formation tendra à correspondre aux attentes exprimées lors de la commande, et l’après formation est rarement investi par ces organismes et il ne semble pas évident, voire pas possible de mesurer l’impact en terme de transformation des personnes. Le système ne semble guère se modifier. La récurrence des demandes, la répétition des problèmes identifiés et des questions à résoudre au fil des générations de migrants et de flux migratoires semblent indiquer qu’aucune réelle capitalisation ne s’opère dans les institutions qui contactent les organismes de formation. Aujourd’hui, comme avant-hier, il est demandé d’expliquer le fonctionnement de la culture albanaise (aujourd’hui) comme on demandait d’expliquer la culture turque (avant-hier) dans l’espoir de savoir comment réagir et interagir valablement. Les organismes de formations détournent bien souvent et bien naturellement ce type de questions pour pouvoir travailler ce qui leur semble plus important et plus utile. Pourtant, ce sont bien les mêmes questions qui leur reviendront plus tard, ou d’un autre service, ou d’une autre institution.
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3.2 Conclusion Ce qui est en jeu dans ces formations, c’est bien un travail sur l’identité et la reconnaissance réciproque. Sur cette base d’une reconnaissance réciproque, une élaboration collective et une co-évolution identitaire deviennent possibles dans le parcours de formation. Cela ne signifie pas une évacuation systématique des conflits potentiels: au contraire, les conflits qui apparaissent sont des opportunités utilisées par le dispositif de formation pour explorer les “zones sensibles” des interactions identitaires. Il s’agit d’apprendre à distinguer, pour chacun, le négociable du non-négociable et, souvent, de déconstruire des représentations (amalgames, préjugés, stéréotypes) qui faussent la communication et produisent des malentendus. Il s’agit donc de se rencontrer pour se connaître (soi-même et les autres) et de travailler ensemble, plutôt que de se fantasmer mutuellement, en nourrissant le mépris, la peur et l’ignorance. Comme dans le domaine de l’enseignement, la prise en compte de la dimension interculturelle ou d’ouverture à la diversité semble de plus en plus présente dans les propositions de formation; en tout cas, cela fait partie de la promotion et de la publicité que font les organismes de formation. C’est sans aucun doute un élément essentiel. Comme d’ailleurs la centration sur la nécessité de la réflexivité et la prise de conscience de ses implicites culturels et sociaux. Il demeure, cependant, que, comme pour le domaine de l’enseignement, le cadre de l’intégration, la manière dont les états se pensent comme société multiculturelle, se retrouvent dans la norme que présupposent les demandes de formations. En d’autres termes, la formation à l’interculturalité est posée, par ceux qui y ont recours, comme normative et destinée à résoudre des problèmes posés par des étrangers et des personnes issues de l’immigration, qui même si installés depuis des décennies, même si la plupart sont désormais nées dans le pays d’accueil des (grands-)parents, demeurent considérées comme des “autres”, des “différents”. Comme des handicap, ou des handicapés. Cas des cas temporairement non-intégrés. Rarement comme ressource. Nous ne parlons pas ici du cadre conceptuel ou des méthodes proposées par les promoteurs de formation, mais bien de ceux qui les contactent.
Massimo Bortolini est coordinateur d’Information et Diffusion dans le CBAI (Centre Bruxellois d’Action Interculturelle). Depuis une dizaine d’années il intervient en formation initiale et continuée sur la thématique de l’interculturalité et de la diversité culturelle auprès de professionnels (enseignants, bibliothécaires, travailleurs sociaux, etc.).
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Bibliographie D. Crutzen, Etat des savoirs concernant l'éducation et la scolarité des enfants issus de l'immigration en Communauté française de Belgique, Cifful/ Cedil/ Ucl, Liège 2004 M.-P. Despret, Les formations interculturelles: qui fait quoi?, Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, Bruxelles 1999 G. Ianni, D. Sensi, Diversity and citizenship: a challenge and opportunity for schools, Irre Toscana, Firenze 2004
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Notes 1 - Les études de cas du projet sont reprises sur le site www.interculturemap.org, section éducation. Pour ce texte, outre les observations faites au cours des années de pratiques formatives dans différents lieux et milieux, les études cas de l’IRFAM, de la formation des enseignants à la diversité ont guidé les réflexions. 2 – M.-P. Despret, Les formations interculturelles: qui fait quoi?, CECLR, Bruxelles 1999, p. 44. 3 - Voir www.cbai.be - Manifeste pour l’action interculturelle.
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